[la vie animale ne constitue qu’un simple perfectionnement complémentaire, sur-ajouté, pour ainsi dire, à la vie organique ou fondamentale, et propre, soit à lui procurer des matériaux par une intelligente réaction sur le monde extérieur, soit même à préparer ou à faciliter ses actes par les sensations, les diverses locomotions, ou l’innervation, soit enfin à la mieux préserver des influences défavorables. Les animaux les plus élevés, et surtout l’homme, sont les seuls où cette relation générale puisse en quelque sorte paraître totalement intervertie, et chez lesquels la vie végétale doive sembler, au contraire, essentiellement destinée à entretenir la vie animale, devenue en apparence le but principal et le caractère prépondérant de l’existence organique. Mais, dans l’homme lui-même, cette admirable inversion de l’ordre général du monde vivant ne commence à devenir compréhensible qu’à l’aide d’un développement très notable de l’intelligence et de la sociabilité, qui tend de plus en plus à transformer artificiellement l’espèce en un seul individu, immense et éternel, doué d’une action constamment progressive sur la nature extérieure. C’est uniquement sous ce point de vue qu’on peut considérer avec justesse cette subordination volontaire et systématique de la vie végétale à la vie animale comme le type idéal vers lequel tend sans cesse l’humanité civilisée, quoiqu’il ne doive jamais être entièrement réalisé. […]
pour se mouvoir et pour sentir, l’animal doit d’abord vivre, dans la plus simple acception du terme, c’est-à dire végéter; et qu’aucune suspension complète de cette vie végétative ne saurait, en aucun cas, être conçue sans entraîner, de toute nécessité, la cessation simultanée de la vie animale. Quant au second aspect, jusqu'ici beaucoup moins éclairci, chacun peut aisément reconnaître, soit pour les phénomènes d’irritabilité ou pour ceux de sensibilité, qu’ils sont essentiellement dirigés, à un dégré quelconque de l’échelle animale, par les besoins généraux de la vie organique, dont ils perfectionnent le mode fondamental, soit en lui procurant de meilleurs matériaux, soit en prévenant ou écartant les influences défavorables: les fonctions intellectuelles et norales n’ont point elles-mêmes ordinairement d’autre office primitif. Sans une telle destination générale, l’irritabilité dégénérerait nécessairement en une agitation désordonnée, et la sensibilité en une vague contemplation; dès-lors, ou l’une et l’autre détruiraient bientôt l’organisme par une exercice immodéré, ou elles s’atrophieraient spontanément, faute de stimulation convenable. C’est seulement dans l’espèce humaine, et parvenue même à un haut degré de civilisation, ainsi que je l’ai déjà indiqué ailleurs, qu’il est possible de concevoir une sorte d’inversion de cet ordre fondamental, en se représentant, au contraire, la vie végétative comme essentiellement subordonnée à la vie animale, dont elle est seulement destinée à permettre le développement, ce qui constitue, ce me semble, la plus noble notion scientifique qu’on puisse se former de l’humanité proprement dite, distincte de l’animalité